L'oedipe

Sonnerie du téléphone.
Non, maman, laisse, c'est pour moi.
Il se dirige vers le téléphone.
Non, laisse ça, c'est pour moi!...
Il s'arrête.
D'accord. Alors vas-y, décroche, toi. Ah, qu'est-ce que je disais? C'est marrant, quand même, hein, chaque fois tu me le...( il prend le téléphone )
D'une voix suave:
Allô! Bonjour mon amour! T'appelles d'où? De Nice?...Tu rentres quand?...Attends, deux minutes.
Il lâche momentanément le téléphone.
A sa mère:
Maman, tu peux fermer la porte, s'te plaît? J'suis au téléphone...Mais si elle ferme. Pousse!...Bon, ça fait rien, laisse comme ça...Hein? Non, c'est une fille que tu connais pas...J'te dis que tu la connais pas...Bon, elle s'appelle Nathalie. Voilà, t'es bien avancée, maintenant...Bon, tu permets? Elle appelle de loin.
Il reprend le téléphone.
Allô?...Non, excuse-moi, je... Je fermais la porte. Alors, qu'est-ce que tu racontes? Tu sors beaucoup? Tu m'trompes pas j'espère!
Non, parce que moi, en ton absence, je suis, euh...comme un prêtre, hein!...
A sa mère:
Quoi?...
A Nathalie:
Je te manques?...Moi aussi...moi aussi, mais moi aussi...
A sa mère:
Tu veux l'écouteur?
A Nathalie:
Qu'es-ce que tu dis?...Non, j'ai pas reçu ta lettre, non. Tu l'as postée quand?... Lundi? Ah oui, ça c'est pas possible...
A sa mère:
Maman, y a eu du courrier pour moi?... Ben t'aurais pu l'dire. Alors, où tu l'as mise? D'accord. Alors, comment tu voulais que je la trouve, sous mon lit? Non, je vais te faire le coup pareil: ton courrier, je vais le mettre dans ton armoire, sous tes pulls!... Si, c'est pareil!
A Nathalie:
Bon, je l'avais, ta lettre. C'est ma mère qui l'avais cachée.
A sa mère:
Si! Si! Parce que moi, j'appelle ça cacher! De toute façon, j'retrouve plus rien dans ma chambre. Chaque fois que tu ranges, j'perds la moitié de mes affaires. Un bordel, peut-être, mais un bordel...
A Nathalie:
Non, c'est pas à toi que je parle.
A sa mère:
Un bordel organisé!J'sais que sous tel linge sale y a tel papier et ça me va très bien. Bon, maintenant est-ce que je peux être tranquille cinq minutes au téléphone?... Merci.
A nathalie d'un ton abrupt:
Allô... (d'un ton plus conciliant: ) Non, allô, excuse-moi: je mettais les choses au point avec ma mère.
Ah bon t'es dans une cabine là? Il te reste combien?... Vingt francs? bon, c'est largement suffisant. Non, je sais, mais c'est elle qu'est toujours sur mon dos... Eh ben, j'imagine que la tienne c'est pareil!
Ah oui, non, c'est vrai, elle est morte.
Dis-moi, tu rentres quand exactement? Demain?... Ben écoute, je viens te chercher au train... Oh, tu veux rire, j'ai rien à faire demain après-midi!
A sa mère:
Eh non, L'inscription à la fac, je la ferais le matin! Si, c'est ouvert, Jean-Luc y est allé. J'sais de quoi j'parle.
A nathalie sèchement:
Quelle heure tu m'as dit?... 14H30? D'accord, j'y serais.
A sa mère en hurlant:
LES PHOTOS D'IDENTITE? J'y vais, justement! Je sais m'organiser, quand même!
A nathalie sur le même ton:
Bon... Tu arrêtes toi aussi! Parce que si ça m'emmerdait de venir te chercher, je te le dirais, quand même!... Non j't'engueule pas!
A sa mère en essayant de se calmer:
Maman, j'en ai marre maintenant. C'est marrant, quand même, c'est chaque fois que je suis au téléphone que t'as plein de choses à me dire.
A nathalie:
Non, je suis désolé, Nathalie, hein. De quoi on parlait? Oui, le train. Bon, ben ça c'est réglé. Ensuite? ( sur un ton irrité: ) Tu m'aimes?... Bon, moi aussi. (d'un ton plus doux:) Bon, moi aussi... Oui, moi aussi, je t'aime, voilà. Attends deux secondes.
A sa mère, consterné:
Q'est-ce que tu fais?... Tu fais ta gym?... Tu peux pas la faire ailleurs?... Bon.
A nathalie:
Ben, c'est ma mère qui fait sa gym, maintanant. Ben là, juste à côté de moi. Non, non, mais moi aussi maintenant, quand elle téléphonera, je viendrai me laver les dents dans une cuvette, juste devant elle.
A sa mère:
Ben oui, je m'excuse, mais je trouve ça un tout petit peu indécent! Eh ben oui, j'en ai marre que tu tournes autour de moi.
A nathalie:
C'est pas à toi que je parle, c'est à ma mère! Hein?... Quarante-deux ans.
A sa mère:
Oh, je m'excuse, c'est pas un secret; tu fais pas plus...mais tu fais pas moins non plus... Non, ce que je veux dire, c'est que...c'est toi qui... Eh ben, le prends pas comme ça, c'est toi qui me pousses à... ( exaspéré: ) Oh là!
A nathalie:
Oui, elle pleure! Evidement qu'elle pleure! C'est un peu à cause de toi, d'ailleurs... Qu'est-ce que t'as besoin de savoir son âge! Je te demande l'âge de ta mère, à toi? Il réalise qu'il vient de faire une gaffe.
Oh merde! (au public:) Sa mère est morte, elle en fait tout un drame.
Il reprend d'un air découragé la conversation avec nathalie:
Allô... Quoi, toi aussi tu pleures?... Qu'es-ce qu'elles ont toutes à chialer aujourd'hui? Bon, écoute, rappelle-moi quand tu seras calmée!
Et il raccroche brutalement.
Elle m'énerve, je vais la larguer!
D'une voix radoucie:
Maman, tu... tu m'excuses pour ce que j'ai dit, t'à l'heure?... Non là, heu...sur ton âge. Tu viens, on va promener papa?
(Pierre Palmade)

Driiing!!!